Les états limites

 

Le terme « Borderlines » a été introduit en 1949 par EISENSTEIN. De très nombreux autres termes l’ont décrit dès les années 1880. Il s’agit plus d’une personnalité que d’une structure. FREUD a décrit des cas de déformations du Moi intermédiaires entre le conflit névrotique et l’éclatement psychotique. La triangulation œdipienne ne parvient pas à jouer correctement son rôle d’organisateur comme c’est le cas dans la névrose.

 

Il n’y a aucun moyen pour passer d’une structure névrotique constituée à une structure psychotique constituée. En cas de décompensation, quand les défenses n’opèrent plus et que l’état du psychisme devient pathologique, elle ne peut se faire que selon le mode névrotique dans la structure névrotique et sur le mode psychotique dans le cas d’une structure psychotique. Les états limites peuvent basculer d’un côté ou de l’autre, parfois s’y fixer définitivement. Ils se situent entre les deux structures mais dans l’état d’avant la constitution de la structure.

 

La lignée psychotique est considérée comme héritée de frustrations précoces dans la relation à la mère. Le Moi reste fixé ou régresse à un stade préœdipien. La structure se pré-organise de façon psychotique. Le développement s’arrête pendant la période de latence. A l’adolescence, il garde une dernière chance de se réorganiser en structure névrotique mais c’est rare.

 

La lignée névrotique poursuit son évolution jusqu'au conflit œdipien. Le Moi se pré-organise de façon névrotique. Au moment de l’adolescence, si les conflits internes et externes sont trop intenses, il n’est pas impossible que le Moi se détériore, recourt à des systèmes de défenses plus archaïques et retrouve une évolution dans le sens d’une structure psychotique définitive. C’est rare aussi.

Les états limites viendraient chez des sujets ayant correctement dépassé la période où le Moi aurait pu se pré-organiser de façon psychotique. Au moment de s’engager dans l’évolution œdipienne normale, ils ont subi un traumatisme psychique et affectif important comme une tentative de séduction sexuelle : l’enfant entre trop rapidement, trop tôt en contact avec une situation œdipienne, alors que ses défenses sont encore trop immatures. Il est alors obligé de recourir à des mécanismes de défenses plus archaïques tels que le déni, le dédoublement des imagos, l’identification projective. Ce traumatisme joue le rôle de premier désorganisateur de l’évolution psychique du sujet et arrête l’évolution libidinale. S’ensuit une pseudo-latence, plus précoce et plus longue. A l’adolescence, cette pseudo-latence peut perdurer. Il s’agit du tronc commun aménagé de l’état limite.

 

L’état limite se trouve dans une situation aménagée et non pas dans une structure. La lignée psychotique est dépassée et la lignée névrotique n’a pu être atteinte : le Moi a dépassé le danger de morcellement mais n’a pas pu accéder à une relation d’objet génitale. L’état limite est avant tout une pathologie du narcissisme : la relation d’objet est restée centrée sur une dépendance anaclitique à l’autre, au besoin de s’appuyer sur l’autre. Le danger immédiat contre lequel se défend l’état limite est la dépression.

            

 

Symptômes

Angoisse

Relation d’objet

Défenses principales

Psychose

Dépersonnalisation, délire

Morcellement

Fusionnelle

Déni, dédoublement du Moi

État limite

Dépression

Perte d’objet

Anaclitique

Dédoublement des imagos,

forclusion

Névrose

Signes obsessionnels ou

hystériques

Castration

Génitale

Refoulement

 

 

Dans les états limites, le refoulement joue un rôle moindre que le dédoublement des imagos, les réactions projectives, l’évitement, la forclusion et d’autres mécanismes de défenses archaïques pour séparer les objets extérieurs bons et mauvais. Le Surmoi, héritier du complexe d’Œdipe ne peut se former de façon complète chez l’état limite, ce qui conduit à une régression à l’Idéal du Moi immature. Le constat d’échec devant les tentatives d’être parfaits (à correspondre à l’Idéal du Moi) n’amène pas à la modestie comme chez les normaux, ni à la culpabilité comme chez les névrotiques, mais à la dépression.

 

L’aménagement des états limites demeure toujours assez instable. Certains réussissent à se maintenir en équilibre dans cette situation inconfortable si elle est correctement aménagée, d’autres ne décompensent qu’au moment de la vieillesse qui agit comme une blessure narcissique. D’autres peuvent décompenser brutalement et se suicider.

 

Si le sujet connaît un deuxième traumatisme psychique désorganisateur (il peut aussi s’agir de plusieurs micro-traumatismes), cela conduit à une grande crise appelée « névrose d’angoisse ». C’est un état de régression du Moi. Le traumatisme peut être un accouchement, un mariage, un deuil, un accident… Devant un tel excès de surcharge pulsionnelle, dans une situation qui rappelle le premier traumatisme, les défenses deviennent insuffisantes. Lorsque l’état limite est ainsi décompensé, il ne peut plus revenir à un état stable aménagé. L’angoisse dépressive a atteint un point de non-retour par rapport à l’aménagement antérieur. Il doit trouver un système défensif plus efficace : la voie névrotique, psychotique ou psychosomatique.

 

En dehors de traumatisme, l’état limite peut se détacher progressivement du tronc commun et évoluer vers un des deux aménagements plus stables et plus originaux dans leurs défenses : l’aménagement caractériel (plus proche de la névrose) et l’aménagement pervers (plus proche de la psychose).

 

L’aménagement caractériel consiste à rejeter à l’extérieur l’angoisse de perte d’objet et à l’y maintenir au prix d’une grande dépense d’énergie :

 

* La névrose de caractère n’est pas une névrose mais on retrouve des comportements névrotiques. Il s’agit d’un état limite qui a davantage de stabilité en se rapprochant de la névrose. C’est une pathologie de la relation avec l’objet et non un conflit entre le Ça et le Surmoi. Les défenses prennent la forme de dédoublement des imagos, de formation réactionnelle. La relation de dépendance peut prendre la forme d’une domination et d’un contrôle autoritaire. En dehors de période de dépression, le sujet est hyperactif, dans l’agir plutôt que dans le ressentir. Il est moralisateur, rigide.

 

* La psychose de caractère ne répond pas à une difficulté de contact avec la réalité mais à une difficulté d’évaluation de la réalité : par le jeu du dédoublement des imagos et projection vers l’extérieur de tout élément gênant, la réalité extérieure est séparée en une partie bonne et une partie mauvaise qui est niée.

 

* La perversion de caractère : ce sont des agressifs gentils, un peu paranoïaques, qui agressent pour se faire respecter, à défaut de se faire aimer. Le pervers de caractère présente comme le pervers authentique, un déni très focalisé et partiel de la réalité, non pas sur le droit de la femme d’avoir un sexe spécifique bien à elle comme chez le pervers, mais sur le fait de ne pas pouvoir utiliser les autres pour conforter et servir son propre narcissisme, car ils ont eux-mêmes leur propre narcissisme.

 

L’aménagement pervers s’appuie sur le déni d’une partie très focalisée de la réalité : le sexe de la femme. Le pervers refuse l’existence de cet objet partiel et en même temps surinvestit l’objet phallique. Selon FREUD, une partie du Moi reconnaît la castration mais une autre partie la nie, ce qui engendre deux séries parallèles de défenses : l’une portant sur l’intérieur du sujet (refoulement notamment) et l’autre sur ce qui est extérieur (déni et forclusion). L’objet total n’a pas pu se constituer, le narcissisme primaire est resté fixé au niveau de l’objet partiel (il ne s’intéresse pas à une personne mais à une partie de son corps). Le pervers n’est pas complet, son pénis n’a pu être investi, c’est le phallus de la mère qui est investi. L’angoisse concerne la castration phallique (c'est-à-dire la dépression, se sentir faible, ne pas avoir le pouvoir) et non la castration génitale névrotique. Le Surmoi n’est pas constitué, le pervers fonctionne surtout avec l’Idéal du Moi. Le pervers s’aventure près de la structure psychotique sans pouvoir bénéficier de défenses redoutables mais solides de cette structure.

 

Les maladies psychosomatiques

 

Les maladies chroniques ou infectieuses peuvent être d’origine psychosomatique, tout comme certains accidents qui relèvent de l’acte manqué. Il est difficile de connaître la limite entre le somatique, le hasard et le symptôme psychosomatique, surtout s’il est isolé. Ce qui est sûr, c’est que l’état mental influe sur la résistance face aux maladies.

 

De très nombreux auteurs se sont penchés sur le sujet : Fain, Marty et M’Uzan en France, Balint en Angleterre.

 

Pour pouvoir dire qu’une maladie est psychosomatique, il faut pouvoir faire ressortir un conflit avec le monde extérieur ou intrapsychique.

 

Le trouble peut être au départ fonctionnel, mais à force de mal fonctionner, un organe peut avoir des séquelles tissulaires qui deviennent irréversibles. Le stress est souvent incriminé, la contrainte ou l’agression provenant du milieu extérieur qui déclenche chez le sujet une réaction de tension. Cela peut être aussi une agressivité qui n’est pas exprimée, pas éliminée et qui se retourne contre les organes. Les affects peuvent produire des troubles fonctionnels puis des lésions organiques.

 

Certains auteurs comme ALEXANDER pensent que l’organe atteint a un rapport avec le type de trouble émotionnel. On pourrait décrire le type psychologique de l’asthmatique, de l’obèse, de l’hyperthyroïdien ou autre. D’autres auteurs pensent au contraire qu’un trouble émotionnel peut produire n’importe quel trouble organique. Le choix de l’organe se ferait en fonction de la fragilité propre à chacun et du terrain génétique.

 

On considère que la maladie psychosomatique correspond à un niveau d’organisation de la personnalité plus archaïque que celui des symptômes névrotiques. Ils sont souvent liés à des carences affectives précoces avec la mère et à une fragilité narcissique.

 

Les malades psychosomatiques (se) cachent leur dépendance affective, leur affectivité, leur agressivité derrière leur symptôme psychosomatique. Ce type de fonctionnement mental a été décrit par Marty, de M’Uzan et David sous le nom de « pensée opératoire » : le sujet, coupé de son inconscient et de sa liberté fantasmatique, réfléchit de façon détachée des affects. Ces sujets au narcissisme fragile ne peuvent décompenser que sur le mode somatique laissant à l’œuvre l’instinct de mort.

 

Il ne faut pas confondre avec les hystéries de conversion dont le symptôme touche à la relation sans lésion organique, ni avec l’hypocondrie où la maladie est uniquement imaginaire et n’existe pas. Dans les maladies psychosomatiques, la régression se fait à un niveau très archaïque, proche de la régression psychotique, mais sans éclatement du Moi.

 

Le traitement doit être pris en charge par un médecin somatique dans un contexte affectif et relationnel rassurant, et aussi par un psychothérapeute.