Structure psychotique et psychoses

La structure psychotique

 

L’originalité de la psychose concerne l’aliénation quant au contenant qui porte principalement sur la structuration même de l’élaboration de la pensée.

 

L’organisation différentielle est la clé de voute du fonctionnement psychique sain ou névrotique. Elle suppose la séparation entre un sujet et sa représentation. L’incapacité à fonctionner sur ce mode correspond à ce qui tient lieu de pensée chez le psychotique : soit le sujet est totalement séparé de sa représentation, il n’est pas représenté, soit il est la représentation, il n’y a pas de distinction entre le sujet et ce qui le représente, les deux sont fusionnés.

 

Le langage du psychotique ne permet pas d’échanger puisque l’autre n’existe pas en tant que sujet, il est soit des morceaux, soit une partie non différenciée du psychotique. Il exprime mais ne communique pas. Une « découpe » interprétative et projective du réel tient lieu de pensée et de champ relationnel au psychotique alors que cette fonction est normalement dévolue au champ du langage et de la pensée. Le psychotique est davantage dans l’agir que dans le dire.

 

Certaines méthodes thérapeutiques en institution s’appuient sur des périodes de présences et d’absences (sorties de quelques jours), afin d’amener le psychotique à se représenter l’institution en son absence, lui faisant ainsi revivre les moments fondateurs du développement de la mentalisation qui s’appuie sur la présence ou l’absence de l’objet (le sein absent qu’il faut se représenter grâce aux souvenirs et à la pensée).

 

Relation d’objet psychotique :

  

La psychose est essentiellement caractérisée par une fixation et un non-dépassement du registre préobjectal. Le nourrisson est tout d’abord dans la fusion où il n’existe pas encore de séparation entre le sujet et son entourage. Le mode relationnel se manifeste par des entrées et des sorties (mode oral) entre un dedans et un dehors peu différenciés. L’introjection (mettre dedans) et la projection (mettre dehors) correspondent à ces modes sans qu’il y ait à ce niveau de différenciation entre la réalité intérieure et le monde réel extérieur.

 

La répétition de la présence et de l’absence, jointe à la satisfaction et au manque permet peu à peu d’isoler le sujet éprouvant (celui qui ressent ces manques et ces absences) et l’extérieur, afin que le bébé se sente différencié du monde, de la mère, des autres. Il devient un parmi tout le reste. Cela inaugure l’autonomisation du Moi qui signe le passage d’un mode d’existence unipolaire à la bipolarité objectale : le sujet est séparé de l’objet : le sein n’est pas une partie de lui, c’est un objet extérieur.

 

L’aboutissement réussi de ce processus de personnalisation permet de sortir d’un fonctionnement de type psychotique et d’entrer dans un fonctionnement névrotique normal, ainsi que la différenciation entre la réalité extérieure et la réalité intérieure (ou fantasmatique). Les contenus psychiques peuvent être exprimés par des représentations qui sont transmissibles verbalement. C’est l’acquisition de cette différentiation qui est défaillante chez le psychotique.

 

La mère du psychotique peut être une mère hyper-présente qui devance ses besoins et l’empêche d’accéder au registre du désir. L’enfant ne désire pas donc ne développe pas ses capacités de représentation. Ce peut être aussi une mère absente qui ne permet à l’enfant de faire le lien entre l’objet du désir et sa représentation. Dans les deux cas, il y a une absence de la fonction du désir. C’est parce que le sein ou la mère manquent assez souvent mais pas trop souvent, que le bébé peut y penser, les mentaliser, les représenter à partir de ses souvenirs (odeurs, goûts, chaleur, forme…).

 

La mère du psychotique n’a pas non plus permis à l’enfant de s’ouvrir à l’autre, le père. Le père est mis de côté par l’omniprésence de la mère et est aussi absent de son discours. Il est exclu pour que la mère ait l’exclusivité de la relation avec l’enfant. C’est LACAN qui a introduit ce phénomène sous le nom de forclusion. Si le père ne joue pas son rôle de tiers séparateur, l’enfant est maintenu dans une fusion pathogène avec sa mère.

 

Le psychotique ne sépare pas le réel du fantasmatique. Il reste bloqué au stade préobjectal et prégénital.

 

Le psychotique peut emprunter des mécanismes de défense névrotique de type obsessionnel ou hystérophobique, l’angoisse de castration permettant de fuir temporairement l’angoisse de morcellement. On peut voir des psychoses schizophréniques s’accrocher désespérément à des formations obsessionnelles.

 

Les troubles psychotiques

 

L’autiste schizophrénique fuit le traumatisme d’une impossible bonne relation par un désinvestissement du monde extérieur et une régression à un état hors représentation, hors mentalisation : une destruction de la pensée. L’émergence du désir est impossible.

 

La catatonie est caractérisée par un raidissement de tous les muscles, comme dans une apparence statufiée. L’initiative motrice est inexistante chez un sujet sans quête objectale.

 

La schizophrénie paranoïde s’accompagne de délires et de créations hallucinatoires. L’objet extérieur n’est pas nié comme dans les formes précédentes, mais est perçu comme non séparé du sujet. Il y a une confusion entre le réel et le fantasmatique, l’intérieur et l’extérieur, l’expérience objective et subjective. Le Moi n’est pas constitué et perçu comme séparé du monde extérieur. Nous n’avons pas à faire à un sujet total séparé d’objets totaux mais d’un sujet partiel et d’objets partiels qu’il perçoit comme faisant partie de lui. La projection hallucinatoire se fait dans une autre partie de lui-même qui est l’extérieur dont il n’est pas différencié. Il ne s’agit pas tout à fait de l’objet partiel tel que l’entendait Mélanie KLEIN. L’objet partiel est le mauvais qui est projeté à l’extérieur tandis que la partie bonne du Moi reste intériorisée.

 

Chez le schizophrène, le Moi est morcelé en plusieurs objets partiels, partie interne et parties externes. Le Moi n’est pas différencié ni perçu comme séparé du monde extérieur.

  

Le délire paranoïaque s’appuie sur la surestimation de soi et le mépris des autres. C’est le signe d’un Moi organisé et différencié qui n’accepte l’objet extérieur que s’il peut avoir la toute-puissance sur lui. Le Moi est très fragile et a besoin de cette toute puissance comme contrepartie narcissique pour supporter la perte de l’omniprésence primitive (l’impression d’être tout ce qui existe et partout et non pas un parmi les autres). A défaut d’être partout, il a besoin d’être au centre. Chez le paranoïde, il y a plusieurs sujets morcelés et un objet aléatoire, il reste une partie non séparée de la mère. Chez le paranoïaque, il n’y a qu’un sujet parfait et un objet-poubelle (qui reçoit le mauvais alors que tout le bon est sensé constituer le sujet). Il cherche à se maintenir à distance de la mère dont il a difficilement réussi à se séparer (bon sujet/mauvaise mère). Ces sujets sont souvent homosexuels car ils se recherchent chez l’autre. C’est un choix intermédiaire entre l’amour narcissique (s’aimer soi-même) et l’amour objectal (aimer un autre), comme l’a décrit FREUD dans le cas Schreber. Croyant détenir tout ce qui est bon, ils ont alors des caractères orgueilleux, considèrent les autres avec mépris et s’en méfient. Faible dans sa pseudo puissance, le paranoïaque cherche à se rassurer sur sa place non pas en cherchant à être aimé mais en faisant sa place : faire des procès pour faire respecter la justice, essayer de convaincre par des explications très logiques, le tout sans affectivité.

 

Le paranoïaque hyperstructuré dans une carapace caractérielle rigide diffère du schizophrène paranoïde qui, lui, est dans le flou, l’absence de limite, l’irréalité.

  

La dépression peut faire partie du tableau clinique du psychotique. Lorsque l’enfant réalise qu’en étant séparé, il n’est pas tout puissant, il en résulte une position dépressive de se sentir faible et dépendant. Chez certains sujets qui viennent de vivre des situations de perte, il n’est pas rare de retrouver cette position dépressive. Le mauvais objet est réintrojecté, d’où la dépréciation, l’effondrement moral et physique, la mélancolie. Cet état dépressif peut s’accompagner de moments maniaques d’excitation qui sont une négation défensive de la dépression. Il s’agit de la psychose maniaco-dépressive de KRAEPELIN. Cette forme de psychose se manifeste par des moments plus ou moins longs de normalité entre des moments de décompensation.


En cas d’échec du refoulement, le mécanisme adopté dans les états limites est le dédoublement des imagos. Le Moi se déforme pour ne pas se morceler. Le dédoublement des imagos correspond à une double relation avec la réalité : la partie de la réalité extérieure vécue comme rassurante est appréhendée correctement par le Moi alors que la partie de la réalité considérée comme gênante, frustrante ou dangereuse se trouve déformée pour la rendre plus rassurante ou alors plus ou moins niée.       Cela peut conduire à des phénomènes de déréalisation (certaines choses ne paraissent plus réelles). C’est un trouble du sentiment de réalité. Cela peut arriver en dehors de toute pathologie.

 

Plus régressive encore, la dépersonnalisation correspond à la fragmentation du Moi : une partie du Moi devient étrangère à soi-même. C’est un trouble du sentiment d’être soi et une défense contre le délire. Cela peut conduire au dédoublement de la personnalité et enfin au délire.



L’univers du psychotique est marqué par l’étrangeté, celle qu’il montre et celle qu’il ressent, du moins au début, avant de perdre totalement le contact avec la réalité.

 

Chez le psychotique, il n’y a pas de défenses constituées et efficaces contre les pulsions, elles doivent donc être évacuées à l’extérieur en ordre dispersé, d’où l’importance des mécanismes de projection dans la psychose : ce sont les autres qui sont perçus comme mauvais ou dangereux. L’enjeu est de maintenir la bonne distance avec les objets projetés, trop près ils risquent d’être persécutifs, trop loin, on risque d’en perdre le contrôle.

 

L’organisation psychotique

 

Selon AJUIRIAGUERRA, les psychoses de l’enfant se traduisent par l’indistinction entre le sujet et l’objet, l’absence de limite du Moi et l’indistinction entre pulsion, réalité et fantasme. Ces organisations ont pour but de restaurer le narcissisme et se défendre contre une angoisse de morcellement. Le processus psychotique bloque l’évolution de l’enfant, ce qui explique qu’il soit presque toujours associé à un développement déficitaire. L’enfant n’a pas pu développer ses capacités de compréhension et ses compétences praxiques (gestes appris).

 

Les principales psychoses sont l’autisme de KANNER (désinvestissement total de l’extérieur), les psychoses symbiotiques de Margaret MALHER (hyper-investissement maternel et ambivalent de l’enfant, impossibilité de quitter la symbiose avec la mère) et les psychoses à expression déficitaire (retards intellectuels, troubles instrumentaux, régressions, angoisse).

 

Chez l’enfant, on rencontre extrêmement rarement des cas de schizophrénies ou de délires. L’angoisse est celle de morcellement, de néantisation mais peut prendre des formes banales chez l’enfant et ne pas évoquer l’angoisse de morcellement. La fantasmatisation n’a pas une forme spécifique et a un but d’évacuation des tensions. Des défenses banales et névrotiques peuvent être présentes, à côté des défenses psychotiques : déni, introjection, identification projective…