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Les mécanismes de défense

 

Anna FREUD présente les défenses comme une activité du Moi, destinée à protéger le sujet contre une trop grande exigence pulsionnelle. Certaines défenses sont exagérées et pathologiques mais la plupart sont normales et donnent naissance aux « traits de caractère » des personnalités normales. Le terme « défense » est à considérer dans les deux sens du terme : les mécanismes de défenses interdisent pour défendre le Moi. La théorie freudienne décompose la pulsion en deux éléments distincts : l’affect qui est non refoulable dans l’inconscient et sa représentation. Le rôle de la censure est de permettre, ou non, aux représentations de rester fixées aux affects correspondants. C’est sur les représentations que portent la plupart des mécanismes de défense et notamment le refoulement. Les principaux mécanismes de défense sont :

 

* Le contre-investissement : afin de s'opposer à des représentations pulsionnelles indésirables, il y a un désinvestissement de la représentation pulsionnelle anxiogène. Cela rend disponible une quantité d’énergie qui ne peut pas rester inemployée. Elle est donc réutilisée dans un contre-investissement sur d’autres représentations pulsionnelles, édulcorées donc autorisées.

 

* La formation réactionnelle  est une forme de contre-investissement où il s’agit d’investir une représentation contraire à celle qui est interdite : par exemple, l’obsession de la propreté chez quelqu’un dont le désir inconscient est de se souiller, la trop grande gentillesse chez quelqu’un qui refoule des tendances agressives.

 

* La formation substitutive constitue un mode de retour du refoulé afin d’obtenir une satisfaction de remplacement : par exemple, dans la transe mystique, l’affect est le même que dans l’orgasme sexuel, même si c’est une activité non sexuée, donc autorisée par le Surmoi.

 

* La formation de compromis  est aussi un mode de retour du refoulé, sous une forme où il ne pourra pas être reconnu, non par substitution mais par déformation, par exemple dans le rêve, certains symptômes et créations artistiques.

 

* La formation de symptômes  est encore un mode de réapparition du refoulé. Le symptôme signe un échec du refoulement. Il résulte des trois mécanismes précédents et est donc plus complexe que chacun d’entre eux. La défense constituée par le symptôme va dans le sens de la lutte contre l’angoisse spécifique : éviter l’angoisse de castration dans la névrose, le morcellement dans la psychose et la perte d’objet dans les états limites.

 

* Le refoulement concerne avant tout la libido et le mode génital. C’est un mécanisme actif destiné à conserver hors de la conscience les représentations inacceptables. Le refoulement primaire est archaïque, individuel ou collectif : les représentations gênantes sont automatiquement refoulées, avant même d’avoir à devenir conscientes (scène originelle, séduction par un adulte). Le refoulement proprement dit agit sous le coup de l’interdiction du Surmoi par désinvestissement des représentations angoissantes et contre-investissement. Le retour du refoulé se manifeste par des rêves, des fantasmes, des lapsus, des actes manqués ou sous une forme pathologique : les symptômes. Le retour du refoulé n’est pas organisé par le refoulement, c’est un échec du refoulement. FREUD avait tout d’abord pensé que le refoulement était à l’origine de l’angoisse avant de se rendre compte que c’est l’angoisse qui crée le refoulement. Le refoulement est le mécanisme de défense principal des névroses. Voici comment il s’articule dans les deux seules vraies névroses : l'hystérie et la névrose obsessionnelle.

 

* L'identification n’est pas un mécanisme de défense mais une activité du Moi. Tout d’abord l’identification primaire passe par l’incorporation. Avec l’arrivée de l’Œdipe, l’identification secondaire permet d’asseoir son identité sexuelle, en prenant modèle sur le parent de même sexe.

 

L'identification à l’agresseur a été décrite par FREUD et FERENCZI et consiste à devenir celui que l’on craint pour le supprimer et se rassurer. Chez l’enfant, cela peut prendre la forme d’un jeu : jouer au docteur, au loup, au fantôme…

 

* L'identification projective a été décrite par Mélanie KLEIN. Il s’agit d’un fantasme de l’enfant de se projeter dans le corps maternel pour le maîtriser, le posséder et éventuellement le détruire afin de contrôler les mauvais objets qui s’y trouvent : pénis du père, autres enfants, excréments. Il peut en résulter de la claustrophobie (peur d’être enfermé dans la mère).

 

 *La projection signe un échec du refoulement. Il est alors nécessaire de se défendre en transformant par la projection, un danger intérieur en danger extérieur. Par exemple, le désir inconscient de tromper son conjoint peut être remplacé par la jalousie envers ce conjoint. Le désir inconscient est projeté chez l’autre.

 

 * L'introjection est un mécanisme décrit par FERENCZI qui serait une défense contre l’insatisfaction causée par l’absence de l’objet. L’introjection y remédierait par une présence incorporée, par exemple en établissant à l’intérieur de soi une image paternelle remplaçant le père absent. Par exemple, en cas de deuil, se faire des reproches que l’on ne peut pas faire à l’être absent (contrairement à l’identification qui porte sur les qualités du sujet et non sur les reproches). A ne pas confondre avec l’introversion qui consiste à retirer la libido des objets réels pour la tourner vers d’autres objets, le Moi par exemple dans les cas de narcissisme secondaire.

 

* L'annulation est un processus actif qui consiste à défaire ce qu’on a fait : des représentations gênantes évoquées dans des actes, pensées ou comportements sont considérés comme n’ayant pas existé. Le sujet met en jeu d’autres actes, pensées et comportement destinés à effacer magiquement tout ce qui était lié aux représentations gênantes. Par exemple, les actes expiatoires ou les mécanismes obsessionnels : vérifier de nombreuses fois pour chasser l’angoisse. Cela s’appuie sur la toute puissante magique de la pensée, comme chez le jeune enfant. C’est un mécanisme très régressif.

 

* La dénégation est également un mécanisme régressif. Le sujet refuse de reconnaître que le représentant pulsionnel le concerne, le touche personnellement. Par exemple, le patient qui raconte un rêve avec sa mère, en relatant des éléments gênants mais en affirmant que ce n’est pas sa mère. Ou dire « Je n’ai pas pensé cela » qui souvent atteste fidèlement de ce qu’il a pensé.

 

* Le déni consiste à éliminer une représentation gênante non pas en effaçant (annulation) ni en refusant de la reconnaître comme sienne (dénégation) mais en niant la réalité même de la perception liée à cette représentation. Le petit garçon qui nie la différence des sexes fait comme s’il n’avait pas vu de différence. Cela lui évite de savoir qu’il y a une différence, donc de devoir mettre en place d’autres mécanismes de défense. Le déni évite à la réalité de devenir consciente. Dans les psychoses, le déni porte sur l’ensemble des représentations gênantes alors que dans la perversion, il ne porte que sur une partie très focalisée de la réalité : le sexe de la femme, comme chez le tout jeune garçon.

 

La forclusion : C'est une forme de déni qui porterait sélectivement sur le nom du père. C’est un mécanisme de défense décrit par Jacques LACAN. Elle s’inscrit dans un processus psychotique. LACAN a élaboré cette notion dans les années 50, à partir du cas Schreber (« Cinq psychanalyses » de FREUD). Elle concerne surtout les psychoses paranoïaques. La forclusion est à la psychose ce que le refoulement est à la névrose. Si le refoulement est quelque chose qui est inscrit et oublié, et qui, à certains moments, fait retour, la forclusion par contre, n'est pas inscrite et se signale, parce qu'elle n'est pas inscrite, par un vide, un trou, dans le système symbolique. Contrairement au refoulement qui implique une élaboration symbolique minimum de l’objet, la forclusion est plus de l’ordre du rejet. Dans le cas d’un retour du refoulé à travers un lapsus par exemple, le sujet sait que c’est lui qui parle et que ce retour du refoulé s’effectue du dedans. Cette conviction est étroitement liée à cette élaboration symbolique minimum qu’il a effectuée au préalable. Pour le psychotique, on retrouve la notion de quelque chose qui n'existe pas dedans, qui est à l'extérieur et qui fait retour. Lacan explicite cela en affirmant : "Ce qui n'est pas symbolisé, donc ce qui n'a pas d'inscription au niveau du système psychique, fait retour au sujet par l'extérieur, par le dehors et dans le réel". De ce fait, si le patient psychotique a une hallucination, par exemple s'il entend des voix, il sera persuadé que ça vient du dehors. Le nom du père est forclos parce que l’enfant ne réussit pas le refoulement nécessaire à l’élaboration de son psychisme. Il ne tient pas comme réel le fait qu’un père ait pu le séparer de sa mère. Il ne reconnaît pas le fait qu’il porte le nom de son père et non celui de sa mère. Il reste ainsi dans l’illusion d’être le phallus de sa mère.

 

Le renversement de la pulsion consiste à inverser le but : de l’amour à la haine, de l’actif (voyeurisme) au passif (l’exhibitionnisme), du sadisme au masochisme.

 

Le retournement contre soi est un mécanisme complémentaire qui concerne l’objet de la pulsion : de voir l’autre à se faire voir soi, de faire mal à l’autre à se faire mal à soi.

 

* L'isolation : C’est un mécanisme qui consiste à séparer une représentation gênante de son affect. Il apparaît quand le refoulement ne suffit pas, par exemple dans les pathologies phobiques : éviter de toucher un objet qui évoque trop ce qui est interdit, qui remplace, qui symbolise l’objet de désir interdit.

 

* Le déplacement : la représentation gênante d’une pulsion interdite est séparée de son affect et déplacée sur une autre représentation moins gênante mais liée à la première par un élément associatif. Par exemple, le petit Hans déplace la représentation du père sur le cheval, les deux ayant comme élément associatif leur gros pénis (l’enfant parle d’un gros "fait-pipi"). Le déplacement joue dans les phobies, les rêves. Dans le cas des  phobies et des troubles obsessionnels, le déplacement s’accompagne d’évitement.

 

* La condensation est encore un mécanisme primitif qui joue à la place du refoulement. Il est courant dans le rêve : une représentation est déplacée de façon à remplacer plusieurs autres représentations, suite à la rencontre de plusieurs lignées d’associations d’idées en cours de déplacement.

 

* Le dédoublement du Moi : il ne faut pas le confondre avec le morcellement du moi qui n’est pas un mécanisme de défense mais un processus de décompensation psychotique, un état de non-intégration du Moi. Le dédoublement du Moi est un mécanisme de défense de mode psychotique contre l’angoisse de morcellement et de mort : une partie du Moi reste en relation avec la réalité non gênante alors qu’une autre partie du Moi perd contact avec la réalité dans ce qu’elle a d’angoissant. C’est un processus qui utilise le déni et parfois le délire, dernier rempart contre l’éclatement psychotique. Dans la perversion, le dédoublement à minima du Moi diffère du dédoublement du Moi chez le psychotique, en cela que le déni ne porte que sur le sexe de la femme (déni de la castration) alors que chez le psychotique, il peut porter sur n’importe quel aspect, génital ou non.

 

* Le dédoublement des imagos est un mécanisme de défense des états limites pour lutter contre l’angoisse de perte. Les états limites sont des aménagements (et non une structure) entre les structures névrotiques et psychotiques. Sous des appellations diverses (clivage de l’objet, clivage de la réalité), le dédoublement des imagos a été mis en évidence par Mélanie KLEIN. Pour ne pas avoir à se dédoubler, le Moi se déforme. Il se limite à des relations organisées selon la dialectique dépendance/maîtrise. Le Moi distingue à propos du même objet tantôt une imago positive et rassurante, tantôt une imago négative et terrifiante.

 

 * La sublimation n’exige pas de contre-investissement, elle peut donc être considérée comme le mécanisme de défense le mieux réussi à moins qu’elle n’en soit pas un. FREUD l’a décrite à partir du cas Dora. Le but (sexuel) interdit est abandonné au profit d’un nouveau but autorisé par le Surmoi. FREUD pense que les pulsions agressives et sexuelles peuvent se sublimer : transformer sa curiosité sexuelle en curiosité tournée vers les apprentissages intellectuels ou la création artistique. A ne pas confondre avec l’inhibition quant au but, où le but est inhibé mais conservé. Dans la sublimation, le but est abandonné.

 

* La régression peut avoir trois aspects, toujours entremêlés :

 

La régression dite topique : L’excitation semble y parcourir à rebours l’appareil psychique, lors du rêve par exemple, de l’idée à l’image hallucinatoire.

 

La régression temporelle dépend de la succession des stades de développement (régression par exemple au stade anal).

 

La régression dite formelle : des modes d’expression et de figuration archaïques remplacent des modes d’expression plus évolués : agir au lieu de mentaliser, halluciner au lieu de se représenter le désir. Il y a un lien mais aussi des différences entre la régression et les phénomènes transitionnels (le doudou qui remplace la mère absente). Il ne faut pas confondre non plus avec la fixation qui elle, ne permet pas de retour à une évolution, alors que la régression suppose que le progrédient (le développement normal) redevienne possible. C’est un mécanisme de défense qui console le Moi et qui est gratifiant pour le narcissisme. On peut parler de dimension réparatrice de la régression. Elle représente un mécanisme de renforcement narcissique, afin de préparer l’investissement ultérieur du monde objectal dont elle apparaît comme un temps préparatoire. La pathologie de la régression se retrouve dans toutes les formes de chronicisation : le patient s’enferme dans un monde fermé qui ne lui permet pas de s’adapter à la réalité.

 

Le sujet normal est celui qui possède suffisamment de défenses, efficaces, variées et pas trop coûteuse (qui n’oppriment pas le Ça ni ne créent un symptôme), qui tiennent compte de la réalité sans inquiéter le Surmoi et qui assurent au Moi un développement harmonieux. Les défenses doivent s’adapter, se mutualiser pour conserver un état d’équilibre.

 

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